PEUT-ON
MANGER DES CHAMPIGNONS ?
Quand on se penche sur la question de
la consommation des champignons, on aboutit facilement à deux
attitudes extrêmes :
- d'un côté les optimistes, affirmant
qu'il n'y a pas de danger, ou que le risque est très limité. Il y a
même chez les profanes des mycophages enragés qui, en découvrant
des champignons de bonne apparence, commencent par les manger au cas
où ils seraient comestibles et vont après demander à un
mycologue de quelle espèce il s'agit ! C'est d'une inconscience
folle, et pourtant j'ai vu le cas de nombreuses fois, même chez des
amis !
- à l'opposé j'ai entendu certains
mycologues célèbres dire que le champignon comestible n'existe pas,
qu'ils peuvent tous être dangereux, et qu'il ne faut jamais
en manger un seul ! Par ailleurs la crainte d'une responsabilité
juridique amène de nombreux spécialistes, et certaines
associations, à répondre aux amateurs que la comestibilité de
telle ou telle récolte ne peut pas être formellement garantie.
Une ligne de conduite raisonnable se
situe sans doute à mi-chemin entre les extrêmes. N'importe quel
aliment peut provoquer des troubles chez certaines personnes, les
organismes humains ne sont pas tous identiques, un cas isolé ne doit
pas être généralisé. Mais il est vrai aussi que des recherches ou
constatations récentes amènent à s'interroger sur l'inocuité de
certaines espèces jadis réputées comestibles sans restriction,
alors qu'il est maintenant justifié de déconseiller leur
consommation.
Comme la plupart des mycologues, j'ai commencé à apprendre à
reconnaître les champignons en vue de les mettre à la poêle. Le
petit atlas de Montarnal, édité par Hachette et vendu 6,40 F en
1961, guidait mes premiers pas. Il contenait un sage conseil, dont je
me suis toujours souvenu : " après la prudence des premières
déterminations, méfiez-vous de la période où vous croyez
connaître les champignons, c'est là que ça devient dangereux
! ".Cet avertissement m'a peut-être évité de prendre des risques comme le font, inconsciemment, beaucoup de mycologues débutants. Et c'était d'autant plus utile que dans les années 60 nous vivions une période d'euphorie, où des champignons jadis jugés vénéneux, avaient été " réhabilités " (Amanita citrina, Volvariella gloiocephala). Tandis que des ouvrages de vulgarisation affirmaient " il n'y a que cinq champignons vraiment dangereux : les trois amanites mortelles, la lépiote helvéolée et le Cortinaire des montagnes, alors que plus de six cents espèces sont comestibles ". A cette époque, tout en étant relativement prudent, j'ai mangé beaucoup de champignons. Je me souviens d'essais très décevants malgré les " fourchettes " attribuées à chaque espèce par Henri Romagnesi dans son célèbre petit atlas : je ne savais pas encore (je l'ai appris par la suite) que le maître qui attribuait ces bonnes notes de gustativité aux champignons n'en mangeait jamais lui-même !
L'acquisition d'ouvrages plus complets permettait déjà d'avoir une idée moins restrictive des espèces vénéneuses. On apprenait par exemple qu'au lieu d'une seule lépiote mortelle, une douzaine d'espèces devaient être considérées comme également suspectes. Et que le Cortinarius orellanus, qui n'était nullement lié aux régions montagneuses comme avait pu le faire croire une fausse traduction de son nom d'espèce, avait lui aussi des consorts aussi dangereux…
Mais c'est surtout Tchernobyl qui a sonné le glas de la période d'euphorie mycophagique. La découverte d'éléments radioactifs cancerogènes, stockés par les mycéliums et restitués par les carpophores - de façon très variable selon les espèces – suscitait de vives inquiétudes. D'autant plus qu'en cherchant les retombées de Tchernobyl, on découvrait aussi, encore présentes dans les champignons, celles des essais nucléaires des années 60. De quoi être saisis de frayeur rétrospective, car les doses encore présentes vingt ans après permettaient de penser que nous avions absorbé sans le savoir des doses de radioactivité bien supérieures à celles provenant de la centrale ukrainienne !
Dans la foulée, la recherche des
métaux lourds mettait en évidence là aussi la présence d'éléments
cancerogènes, en particulier dans certains comestibles
excellents comme le coprin chevelu, qui fructifie volontiers dans des
sites pollués. Par ailleurs des études très poussées révélaient
des substances cancerogènes inhérentes aux champignons, pour
certains genres ou espèces. Enfin des intoxications aberrantes
étaient attribuées à des champignons jusque là considérés comme
parfaitement comestibles.
Quels
sont les risques ?
L'appréciation de l'ampleur des
risques inhérents à la consommation de champignons comporte une
bonne part de subjectivité. Je livre ci-après mon point de vue sur
la question, sans avoir la prétention de détenir La vérité, et
sans qu'il s'agisse d'un jugement définitif : des éléments
nouveaux m'amèneront peut-être, dans un avenir plus ou moins
proche, à changer d'opinion…
1°) La radioactivité : le
cesium radioactif provenant d'une explosion nucléaire s'enfonce
plus ou moins lentement dans le sol, selon la nature du terrain. Dans
les mois qui suivent l'explosion il touche surtout les espèces à
mycélium superficiel, le bolet bai par exemple. Par la suite il
atteint progressivement d'autres espèces épargnées au début,
comme les cèpes. La radioactivité diminue constamment, plus ou
moins rapidement selon les radio-éléments concernés. Leur "
demi-vie " correspond au laps de temps nécessaire pour qu'il
n'en reste plus " que " (ou " encore ") la
moitié. Pour le Cesium 134 la demi-vie étant de 2 ans, les
quantités présentes 24 ans après Tchernobyl sont extrêmement
faibles. Par contre le Cesium 137 a une demi-vie de 30 ans, ce
qui veut dire qu'il reste encore plus de la moitié de ce qui a
été envoyé dans l'atmosphère par l'explosion de la centrale
ukrainienne. Le risque n'est jamais nul, car une faible dose peut
suffire pour déclencher un cancer. Mais le taux de probabilité
de réalisation de ce risque est proportionnel à la dose d'éléments
radioactifs absorbés, il est variable selon les espèces, et selon
la quantité de champignons consommés !
2°) Les métaux lourds : le
risque est de même nature que la radioactivité, les métaux lourds
étant cancerogènes. Mais les stations à risques sont plus faciles
à repérer, et par conséquent à éviter : il s'agit
essentiellement des endroits très exposés aux vapeurs
d'hydrocarbures provenant de la circulation automobile (les aires
d'autoroute, les abords immédiats des routes à fort trafic), les
décharges, les zones industrielles, etc. Quand on récolte soi-même,
on peut y faire attention. Mais je suis extrêmement méfiant, sur ce
plan, à l'égard des champignons vendus dans le commerce1,
qui proviennent en très grande majorité d'importations. J'ai
recueilli dans le passé des témoignages de mycologues, du centre et
de l'est de l'Europe, qui était effarés de voir des gens ramasser
des champignons dans des secteurs très pollués, en vue de les
vendre : ils partaient à l'exportation, souvent vers notre pays...
D'autres sources de pollution peuvent
être à l'origine de gastro-entérites, notamment les pesticides
employés en agriculture : il est déconseillé de consommer des
champignons récoltés dans des champs (trop) bien cultivés.
La toxicité peut aussi provenir du
substrat : c'est le cas de la grande lépiote dite vénéneuse
(Macrolepiota venenata), qui apparaît le plus souvent sur des
sites excessivement riches en nitrates, dépôts de gazon par
exemple. Il est tout à fait déconseillé de consommer les
champignons poussant dans ces stations.
3°) Les substances inhérentes aux
champignons : il s'agit notamment des agaritines cancerogènes
présentes dans le genre Agaricus (y compris dans le
champignon de couche). Le taux de probabilité de la réalisation de
ce risque pour une consommation occasionnelle est sans doute faible.
On peut cependant réduire encore ce risque en évitant de consommer
ces champignons à l'état cru, la cuisson faisant disparaître en
partie ces substances.
4°) Les espèces à toxicité
inconstante : Il est bien connu que certaines espèces sont mal
supportées par une partie des consommateurs, alors que d'autres s'en
régalent sans en être malades. Le cas le plus typique est celui du
bolet granulé (Suillus granulatus), qui provoque des
diarrhées chez environ la moitié de ceux qui le dégustent. Dans
Dernières nouvelles des champignons, paru en 1990, j'avais
évoqué certaines études semblant démontrer que le tréhalose, qui
produit des phénomènes de diarrhée osmotique, est normalement
transformé en glucose par une enzyme, la tréhalase, et que
l'absence de cette enzyme dans l'organisme d'une partie des
consommateurs laisse le champ libre aux troubles produits par le
tréhalose.
D'autres espèces sont consommées sans
problème par certains amateurs, mais provoquent des troubles fâcheux
chez de nombreux autres mycophages : c'est le cas notamment du
Clitocybe nébuleux, et surtout des Armillaires
(genre Armillariella ss. lato). Il est prudent d'en
déconseiller la consommation, ou à tout le moins d'informer ceux
qui tiendraient à en manger, des risques qu'ils encourent.
Dans les cas qui précèdent le risque
est généralement celui d'une simple gastro-entérite. Mais pour
d'autres espèces l'intoxication peut-être beaucoup plus grave :
- Amanita proxima,
espèce très voisine de l'amanite ovoïde, consommée dans
certaines régions, peut produire de très sévères atteintes
rénales. Un ami en avait fait jadis l'expérience, involontairement,
il avait dû aller se faire soigner à Paris pendant plusieurs
années. Et des cas graves ont été signalés il y a quelques
dizaines d'années dans le sud de la France.
- Le Paxille enroulé (Paxillus
involutus) est consommé par certains irréductibles, malgré les
intoxications mortelles qui ont été attribuées à
cette espèce. Un collègue du Massif Central avait signalé sur un
forum, il y a quelques années, qu'à chacune des expositions qu'il
organisait, un mycophage local, toujours le même, venait protester
contre la mention "toxique" attribuée à ce champignon,
qu'il disait consommer depuis des années... Jusqu'au jour où il en
mourut !
- Des millions de gens, dans toute
l'Europe, ont consommé des gyromitres, qui étaient
commercialisées, à l'état sec, par dizaines de tonnes. Mais plus
de cinquante consommateurs en sont morts, et dans un certain nombre
de cas, il s'agissait d'amateurs qui en avaient déjà mangé sans
inconvénient à plusieurs reprises, jusqu'au jour où une énième
dégustation les faisait passer de vie à trépas. Manger des
gyromitres, c'est un peu jouer à la roulette russe. Il est
maintenant interdit, à juste titre, de les commercialiser.
5°) Quand la quantité excessive
révèle le poison : Le Tricholome équestre au sens large, plus
précisément Tricholoma auratum, est
extrêmement abondant dans le sud-ouest de la France, en particulier
sur le littoral des Landes, où il est très recherché, et consommé
sous le nom vernaculaire de "bidaou". C'est un
comestible si apprécié qu'il existait même, dans la région
d'Arcachon, une confrérie gastronomique du bidaou ! Pourtant on sait
maintenant, depuis 1999, qu'il peut être dangereux, et même mortel
en cas de consommation excessive. Une douzaine de cas, dont trois
décès, ont été recensés à la fin du siècle dernier par le
centre anti-poison de Bordeaux, avec l'apparition d'un nouveau
syndrome, la rhabdomyolyse, qui est la destruction des muscles
striés. Le cas le plus typique était celui d'une jeune femme de 28
ans, végétarienne, qui en avait mangé dix jours de suite : elle
en mourut. Des milliers d'amateurs en ont pourtant mangé depuis
des lustres... Sans inconvénient ? Pas si sûr ! Car la
rhabdomyolyse, quand elle est modérée, se traduit par de simples
courbatures, ou des symptômes analogues à ceux d'un début de
grippe. Il est très possible que des amateurs de bidaous, après en
avoir mangé quelques bonnes assiettées, aient éprouvé dans le
passé ce genre de malaises, sans qu'il vienne une seconde à leur
idée, ni à celle de leur médecin, que cela pouvait pouvait
provenir des champignons...
Des troubles d'ordre neurologiques ont
été récement signalés à la suite de la consommation de morilles.
Il semble bien que là aussi ces intoxications soient survenues chez
des mycophages ayant mangé une grande quantité de ces champignons,
parfois lors de plusieurs repas consécutifs. Il est bien connu
d'autre part que les morilles peuvent toujours être toxiques si
elles sont consommées crues ou insuffisamment cuites.
Je ne parlerai pas ici des espèces qui
sont constamment vénéneuses : toutes les sociétés mycologiques
font ce qu'elles peuvent pour informer les profanes, amener les
mycophages à faire l'effort d'apprendre à reconnaître les
champignons dangereux. Les doses létales indiquées par certains
auteurs sont tout à fait théoriques, elles peuvent varier très
largement d'un individu à l'autre.
Je dirai en conclusion que la plus
grande prudence s'impose en matière de consommation de champignons.
Des risques comme les substances cancerogènes (élements
radioactifs, métaux lourds et autres pollutions), passent inaperçus,
parce que l'ingestion de champignons contaminés ne rend pas
malade immédiatement. Seules des études épidémiologiques sur
des populations importantes peuvent démontrer l'augmentation du
nombre de cancers chez les consommateurs de certaines espèces2.
On peut encore manger des champignons,
mais seulement quand il s'agit d'espèces comestibles bien connues
des mycologues, soigneusement vérifiées, et toujours en petite
quantité. L'important c'est la dose ! Et, que diable, a-t-on
besoin de ces condiments occasionnels pour se nourrir quotidiennement
?
Guy Fourré
1
Sauf quand il s'agit d'espèces bien connues (et vérifiées)
vendues localement par les récolteurs eux-mêmes.
2
De telles études ont été faites dans d'autres pays, en
particulier pour la radioactivité.
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